Les amateurs de bande dessinée corse peuvent se réjouir avec la publication récente d’une nouvelle planche de la célèbre série Petru Santu, intitulée Le réveil du prisuttu…
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Petit éloge de Petru Santu
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Ah ! Petru Santu ! Un prénom de babbò, emblématique de nos anciennes générations. Un prénom de pilier de village, pour ceux qui ont grandi au village. Et pour tant de petits corses des villes ou de la diaspora, le prénom de quelqu’un que l’on se devait d’avoir connu, et qui vous revoyait, d’années en années pour les vacances, vous ayant poussé et lui semblant mythique.
Ce n’est pas la moindre gloire de Federzoni et Desideriu que de chercher, manifestement, à enrichir l’âme corse d’un nouveau mythe par leur personnage de BD : Petru Santu, ce petit vieux, cousin avéré des personnages de Tex Avery ; cet être exquis qui n’a pas fait en Sorbonne sa théologie, pour lui préférer peut-être un thé (ou un café) au logis ; qui refuse qu’on lui paie son héritage en jus de fruit et se moque de la créatinine (sic) du bodybuilder corse (« Tu Vuò Fa’ L’Americano, mericano, mericano… ») Oui, Petru Santu est un mythe corse : il était là dès le début… et il sera là Tant qu’il y aura du brocciu.
On parle couramment, entre spécialistes de littérature, de « matière de Bretagne » pour le cycle arthurien, dont Kaamelott n’est pas le moindre avatar hilarant. Mais la « matière de Corse », pourquoi serait-elle plus pauvre que l’autre ? Ou moins drôle ?
Et quand bien même on préférerait le glauque au gag, Jérôme Ferrari, prix Goncourt, et ses écrits sur la Corse, plutôt que le tandem Desideriu et Federzoni, et leurs BDs corsés, pourquoi un débat entre les deux serait-il forcément décevant ? Peut-être d’ailleurs sont-ils moins loin qu’on ne le pense, défendant chacun, à sa manière, que la « matière de Corse » est tout à fait étincelante ici ? Voire qu’en creusant un peu, poétiquement parlant, il y a ici bien des nappes d’eau de jouvence.
Et puis il y a les titres des BDs Petru Santu. Les titres borgésiens. Pour Borges, « il n’y a qu’un seul auteur, atemporel et anonyme. » et l’on pourrait donc légitimement lire du Ferrari comme s’il était signé Desideriu/Ferderzoni, A la recherche du lonzu perdu signé par Proust et lycée de Versailles. Du lonzu ou du temps, lequel est le plus savoureux et l’absence duquel est-elle la plus cruelle ? Vous savez quatre heures…Coefficient 8 en morosophie en bac.
Car il ne faut pas croire, c’est extrêmement ardu : créer un mythe, des albums et des albums de gros gags qui font rire. On cédera volontiers sur le fait que Borges, ce soit un peu la piste noire, voire le hors-piste interprétatif ; pas sur le fait que la grande BD populaire à la Petru Santu soit un travail conséquent, et artistique. Un travail dont le neuvième tome, Pastore forever, n’est pas le dernier mot. Cela n’est évoqué qu’au passage dans l’ouverture de la série et les auteurs sont bien trop élégants pour insister dessus, mais Petru Santu est aussi un ancien résistant. Il sera donc présent en Corse juste autant de temps que, sur l’île, il y aura des Corses pour se souvenir de ce que résister veut dire, entre macagna et liberté.
Tant qu’il y aura du brocciu…
#corsicacomix
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